« Le livre devient un lieu à l'intérieur duquel il se promène. Il y a des livres qui sont, si l'on veut, des tunnels ou des rails de chemin de fer, dans lesquels on ne peut faire qu'un seul trajet. Mais j'aime de plus en plus les livres à l'intérieur desquels on peut se promener. Et j'essaie de faire des livres à l'intérieur desquels on peut faire plusieurs trajets différents.»

Michel Butor, Entretiens. Quarante ans de vie littéraire

 

mots bois
L'Etranger Camus

Albert Camus, L'Etranger - Gallimard, 1942

Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : "Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués." Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier.
Camus évoque L'Etranger dans une phrase qu'il reconnaît paradoxale : «Dans notre société tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort.» Il voulait montrer que ce n'est pas parce qu'on ne montre pas ses sentiments ou qu'on ne ressent pas de la même façon que les autres, que nous sommes différents. Il faut dire seulement que le héros du livre est condamné parce qu'il ne joue pas le jeu. En ce sens, il est étranger à la société ou il vit, il erre, en marge, dans les faubourgs de la vie privée, solitaire, sensuelle. Et c'est pourquoi des lecteurs ont été tentés de le considérer comme une épave. Meursault ne joue pas le jeu. La réponse est simple : il refuse de mentir.



Mémoires d'Hadrien

Marguerite Yourcenar, Mémoires d'Hadrien - Plon, 1951

Le véritable lieu de naissance est celui où l'on a porté pour la première fois un coup d'oeil intelligent sur soi-même : mes premières patries ont été les livres.

Ce roman se présente comme une lettre adressée par l'empereur Hadrien vieillissant à son petit-fils adoptif de dix-sept ans, Marc-Aurèle qui doit lui succéder en tant qu'empereur. Cette méditation écrite d'un malade qui donne audience à ses souvenirs a pour but d'aider le jeune homme à se préparer à la rude tâche qui l'attend et de lui permettre de réfléchir à l'exercice du pouvoir. Hadrien, sur le ton de la confession, y dresse le bilan de sa vie. Hadrein y évoque sa jeunesse et les personnes, les combats, et les lectures qui l'ont influencé ainsi que ses voyages. Les Mémoires d'Hadrien se terminent par une méditation sur le suicide. Ayant le sentiment du devoir accompli, il pense en effet un moment mettre fin à ses jours, mais se résigne finalement à attendre la mort avec dignité et patience.




La Vie devant soi

Emile Ajar, La Vie devant soi - Mercure de France, 1975

Je pense que pour vivre, il faut s'y prendre très jeune, parce qu'après on perd toute sa valeur et personne ne vous fera de cadeaux.

Histoire d'amour d'un petit garçon arabe pour une très vieille femme juive: Momo se débat contre les six étages que Madame Rosa ne veut plus monter et contre la vie ça ne pardonne pas. Il l'aidera à se cacher dans son trou juif, elle n'ira pas mourir à l'hôpital et bénéficier du droit sacré des peuples à disposer d'eux-mêmes.Il lui tiendra compagnie jusqu'à ce qu'elle meure et même au-delà de la mort.



Umberto Eco, Le Nom de la Rose -  Grasset, 1980

Il s'agissait en effet de savoir si les métaphores, et les jeux de mots, et les énigmes, qui ont pourtant bien l'air d'avoir été imaginés par les poètes par divertissement, ne portent pas à spéculer sur les choses de manière nouvelle et surprenante...

Histoire en sept chapitres, chiffre symbolique qui représente le nombre de jours et d'étapes de l'enquête ainsi que le nombre approximatif de morts. L'histoire est bornée par le récit de la découverte du manuscrit que l'auteur prétend traduire, et par les conclusions                         du narrateur devenu vieillard.



Michel Butor, La Modification - Minuit, 1957

...et dans les tunnels le reflet de votre visage faisait comme un trou d'ombre transparente au travers duquel vous aperceviez la fuite furieuse du roc.

Lors d'un aller-retour Paris-Rome en train, un passager remet en question son existence,ses choix avant de se résigner à la médiocrité. L.D. a 45 ans, est un homme qui a réussi. Pourtant, il étouffe auprès d'une épouse acariâtre et de quatre enfants qui sont pour lui des étrangers. Tandis qu'il se rend à Rome, comme chaque mois, il repense à sa maîtresse, la belle romaine, C, qu'il a l'intention de faire venir à Paris pour qu'ils vivent ouvertement ensemble. Il a pris une décision.                                Mais la fatigue du voyage en troisième classe et les souvenirs de nombreux autres  voyages effectués seul, avec sa femme ou avec sa maîtresse, vont peu à peu modifier cette décision.



Emmanuel Carrère, L'Adversaire - POL, 2000

Un ami, un véritable ami, c'est aussi un témoin, quelqu'un dont le regard permet d'évaluer mieux sa propre vie, et chacun depuis vingt ans avait sans faillir,sans grands mots, tenu comme ce rôle pour l'autre. Leurs vies se ressemblaient même s'ils n'avaient pas réussi de la même façon.

Jean-Claude Romand est un homme normal. Bon père et bon époux, il a des amis et un travail intéressant. Aux yeux de chacun, il mène une vie exemplaire. Ses photos de famille ressemblent aux vôtres : on y voit le reflet d'un monde heureux. Le 9 janvier 1993, il arme sa carabine et tue de sang-froid sa femme, ses deux enfants et ses                                     parents. On découvre alors un imposteur qui s'est inventé une vie trompeuse.



Nathalie Sarraute, Enfance - Gallimard, 1983

- Alors, tu vas vraiment faire ça ? « Évoquer tes souvenirs d'enfance »... Comme ces mots te gênent, tu ne les aimes pas. Mais reconnais que ce sont les mots qui conviennent. Tu veux « évoquer tes souvenirs »... il n'y a pas à tortiller, c'est bien ça.

- Oui, je n'y peux rien, ça me tente, je ne sais pas pourquoi.

Nathalie Sarraute rassemble des souvenirs de ses onze premières années. La narration s’arrête au moment où la petite fille entre en sixième. L’une des originalités de ce récit réside dans le dédoublement de la narratrice. Deux « voix » dialoguent, qui représentent l’une et l’autre l'auteur, mais qui incarnent des postures différentes à l’égard du travail de mémoire. L’une de ces voix assume la conduite du récit, l’autre représente la conscience critique. Selon les moments, cette seconde voix freine l’élan de la première, la met en garde contre les risques de forcer l'interprétation ou inversement la pousse à l'approfondir.



Georges Perec, La Vie mode d'emploi - Hachette, 1978

En avant du puzzle et du plateau, plusieurs livres, cahiers et classeurs sont étalés sur le parquet. Le titre de l'un des livres est visible. Règlement concernant la sécurité dans les mines et carrières. Un des classeurs est ouvert sur  une page en partie couverte d'équations transcrites d'une écriture fine et serrée.

La Vie mode d'emploi porte sur la vie des habitants d'une résidence située au 11 rue Simone Crubellier, une adresse fictive à Paris. Le récit de l'existence des personnages s'étale sur une centaine d'années, allant du XIXe au XXe siècle. L'ouvrage est considéré comme une somme de plusieurs romans en raison de sa                         structure unique et de son sous-titre Romans. Il a reçu le prix Médicis l'année de sa parution.



Jean Echenoz, Un an - Editions de Minuit, 1997

Et puis tu sais comme est l'amour, toujours pareil, c'est la compassion ou le reflet.

La jeune femme, prénommée Victoire, découvre un matin son ami Félix mort près d’elle dans son lit. Elle ne se souvient pas de ce qui est arrivé, mais elle file, dans le Sud-Ouest, en emportant ses économies. Sa fugue va durer un an, d’où le titre. Au début, tout va bien. Elle loue une villa au Pays basque, se trouve un amant. Mais l’amant lui vole ses sous et Victoire va parcourir une à une les étapes de la dégringolade sociale : après la villa, les chambres d’hôtel, de plus en plus miteuses, puis la belle étoile ; le vélo, puis l’auto-stop et, quand elle est devenue trop sale, trop dépenaillée pour le stop, la marche au hasard, l’association avec d’autres clochards, le chapardage, la promiscuité, la perte progressive de soi et du monde. L’histoire d’une errance en forme de descente, une aventure picaresque que l’auteur achève en la ramenant à son point de départ.



Dominique Bona, Deux sœurs - Grasset, 2012

Soudain, c'est l'intrusion dans la couleur. Dans cette famille abonnée aux fusains de Redon, aux clair-obscur de Carrière, au café-au-lait de Lerolle et au trait janséniste de Degas, Renoir , apporte une profusion de rouge, de bleu, de jaune, un éclaboussement de fruits, de fleurs et de lumière.

Tout le monde connaît les sœurs Rouart... sans pourtant les connaître : peintes par Renoir, au piano. 

Filles du peintre et collectionneur Henry Lerolle, les belles Yvonne et Christine ont grandi au milieu d'artistes de génie. Renoir, Degas, mais aussi Debussy, Ernest Chausson, ou encore Claudel, Gide et Mallarmé étaient des familiers, toujours enclins à peindre ces deux jeunes filles modèles, à les photographier, à jouer du piano avec elles. C'est Degas, le peintre préféré de leur père, qui a l'idée de les marier aux frères Eugène et Louis Rouart, les fils de son ami, le collectionneur Henri Rouart. Issues d'un milieu libéral, elles allaient se heurter aux caractères impétueux et sombres des deux énergumènes, pourtant venus comme elles d'une famille éprise d'art, jusqu'à la folie. Elles avaient tout pour être heureuses... L'amour sera leur grande blessure. Leurs mariages, par des chemins détournés, les conduiront de l'insouciance au désenchantement. Jusqu'à la tragédie.